Quelque chose m’a agacée. Tous les jours, il faut parler de soi, pour se mettre en avant, promouvoir, certain•es diront « se vendre ». Les moyens discursifs pour accomplir cet acte que je trouve complexe sont variés. Mais ils se retrouvent souvent sur les mêmes plateformes, qui deviennent des lieux communs, en dehors de tout (car les rapports sociaux y sont déconnectés des réalités), et au-dedans de tout en même temps (car ces nouvelles relations sociales sont devenues majoritaires dans certains milieux). Linkedin, Instagram, sont des endroits du générique. Les images s’y accouplent, de plus en plus semblables. D’un côté, les partisans de l’esthétique, de l’autre, celles et ceux qui choisissent le camp de l’artisanal. D’un côté le consumérisme, d’un autre celles et ceux qui disent vouloir sortir du système.
Dans tous les cas, à travers l’exercice de la promotion de l’ « entreprise » ou de l’ « œuvre », il y a toujours la mise en avant du récit de soi : un procédé narratif, appelé « storytelling ». Ainsi, voici que des gens que je connais, d’autres que je ne connais pas, commencent à parler de leur projet, de la boîte qu’ils ou elles ont créée, de cette exposition incroyable élaborée avec soin, ou de cette journée d’étude inoubliable… il pourrait n’y avoir qu’une façade à ces présentations : « je vous introduis à ce sujet, voici la date et l’heure, point ». Toutefois, ce n’est plus comme cela que le monde fonctionne. Car pour intéresser, captiver votre attention, si savamment, il faut tricher, parce que nous vivons dans l’univers de l’inattention ou de l’attention captive.
Alors voici comment I-elles font : chacun des sujets sur LinkedIn ou Instagram prend la tournure du discours sur soi. C’est une sorte de cape, une parure, un élan autocentré qui déconcentre du sujet ou de l’objet évoqué. Cela commence par une généralisation « Beaucoup d’influenceurs arrivent à percer aujourd’hui. Pourquoi pas vous ? ». S’engage ensuite l’exemple. L’unique, le précieux, à moins qu’il y en ait plusieurs pour étayer vos propos, comme si la preuve était scientifique, CQFD. Prouver c’est montrer l’efficacité du propos. C’est la parole active. La parole effective. Celle qui tente de démontrer que du blabla peut être suivi d’effet. Ensuite, après l’engagement du vous et du nous, et l’apport de l’exemple servant d’argument, il y a ce passage au « je ». « J’ai moi-même longtemps cru par préjugé, que les influenceurs étaient inutiles ». Et bam. 💥 Plus de place au doute, le concept est là : par ce moyen discursif de haute volée, vous entrez en jeu, le narrateur ou la narratrice incarne la force du sujet, fait corps avec l’objet qu’il ou elle présente. Il n’y a plus de détachement ou de distance. Tout est intégré. Tout fait sens. Et enfin, par une accumulation superflue de preuves par l’exemple, et d’arguments par la narration du Soi-Être, – et même pas de l’être-soi qui serait témoignage de qui nous sommes ici-bas, – le sujet repasse aux « Autres », mais pas celles et ceux qui sont différents de vous, pas l’Autre de l’altérité, ni celui de l’altruisme, ce sera l’Autre qui doit faire corps ou communauté avec l’idée partagée dans le support médiatique susmentionné. « Venez à mon atelier. Car vous y trouverez ce que je viens de vous dire ».
Date. Heure. Lieu. Conditions d’accès. Tarif.
J’ai moi-même versé dans tout cela. Et je suis souvent forcée de le faire.
Voici comment le récit de soi permet de produire un faux savoir, de fausses preuves. Qui plus est, sur de nombreux réseaux sociaux, s’ajoutent aussi de fausses images, fabriquées par l’intelligence artificielle. Vous êtes entouré•es de « faux ». On vous force un peu la main : L’on vous dit que parce que le récit de soi est la preuve de l’efficacité ou de l’utilité d’une chose, alors il faut tenter d’y faire corps.
Peut-être pas.
Ce n’est pas obligé.
L’on peut décider aussi de susciter l’intérêt par d’autres moyens que des procédés marketing qui me semblent assez peu pertinents dans le monde dans lequel nous naissons vivons et mourons.
Jugez vous-mêmes. Les plantes font différemment.
Pour communiquer, elles emploient les grands moyens :
La communication souterraine se fait principalement via les systèmes racinaires et le réseau mycorhizien, permettant des échanges de signaux entre les plantes, un peu comme une “relation sociale” souterraine. La communication aérienne, en revanche, se produit grâce à des composés organiques volatils, comme les terpénoïdes ou d’autres métabolites secondaires. Ces composés, produits par des cellules spécialisées des fleurs ou des feuilles, servent à attirer des pollinisateurs ou à se défendre contre les herbivores.
La communication intra-plante repose sur des signaux hormonaux et électriques transmis via les systèmes vasculaires (xylème, phloème) ou par des signaux hydrauliques, alors que la communication inter-plantes, bien qu’encore controversée, implique souvent des signaux chimiques ou acoustiques, mais reste difficile à prouver dans un contexte naturel.
Nous pouvons penser à d’autres moyens comme ces deux manières de communiquer de façon éthique, inspirés des mécanismes des plantes :
1. Réseau “mycorhizien” numérique : Créer une plateforme collaborative en ligne qui fonctionne comme un réseau discret et solidaire, où les créateurs, chercheurs ou artistes peuvent échanger des idées, des ressources, ou des soutiens, sans être dans un système de compétition ou de visibilité forcée. Ce réseau mettrait en avant l’entraide et le partage de compétences dans une optique de long terme. Chaque projet ou idée circulerait comme des nutriments dans un réseau racinaire, renforçant le collectif sans que l’attention soit uniquement portée sur l’individu.
2. Communication “volatile” environnementale : Organiser des événements sensoriels et immersifs dans des espaces naturels ou urbains où le projet est mis en avant via des éléments subtils comme les sons, les odeurs, ou les installations artistiques temporaires, semblables à la diffusion de composés volatils par les plantes. Ces événements seraient conçus pour laisser une empreinte durable sur les visiteurs sans être intrusifs, respectant l’espace et l’environnement. L’idée serait de créer un impact doux mais marquant, comme un parfum que l’on retient ou une sensation que l’on emporte avec soi, favorisant une approche éthique et respectueuse de l’attention du public.
Signé Tassanee
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