Cambodge. Mémoires déracinées.

Légende image : Dessin à l’encre noir sur papier. L’invasion de la mémoire. Concours Canson. 2015. Exposé à la Galerie Hémisphère à Saumur en novembre -décembre 2023.

Poèmes volants sur papier calque. 2020 Celui-ci a été encadré et posé là devant la fenêtre. Poèmes exposés ici lors de la résidence et du temps d’exposition du festival Bruissements d’elles à la Ville aux Dames. Exposés également lors de l’accrochage diplomant à l’ESAD TALM Tours en 2020 et à la BU Médecine en 2022.

Le Cambodge est un pays où la grande majorité de la population est d’origine khmère. Environ quatre-vingt-dix pour cent des habitants sont khmers, et ils forment le groupe ethnique dominant, lié à l’histoire et à la culture du pays. En plus des Khmers, il existe des minorités ethniques au Cambodge, notamment les Cham (un peuple musulman), les Vietnamiens et les Chinois, ainsi que diverses populations montagnardes appelées les Khmer Loeu (ou hautes terres khmères).

Le Cambodge a toutefois été une colonie française, et il y a eu une petite population européenne durant cette période, mais elle ne semble pas avoir donné naissance à une communauté métisse notable comme on peut l’observer dans d’autres contextes coloniaux.

L’influence démographique étrangère la plus marquante viendrait surtout des Vietnamiens et des Chinois, notamment pour des raisons économiques et historiques, mais cela reste marginal par rapport à la population khmère majoritaire.

1991

En 1991, le Cambodge sortait d’une période extrêmement difficile marquée par des décennies de guerre civile, la dictature des Khmers rouges (de 1975 à 1979), et l’occupation vietnamienne qui a suivi. Pendant cette période, beaucoup de familles ont été dévastées, soit par les violences du régime des Khmers rouges, soit par les conséquences de la guerre et de la pauvreté. Cela a laissé de nombreux enfants orphelins ou séparés de leurs parents.

En 1991, le Cambodge était dans une phase de transition. C’est l’année où les accords de paix de Paris ont été signés, mettant officiellement fin à la guerre civile. Le pays commençait à se reconstruire sous la supervision des Nations Unies (UNTAC), qui ont pris en charge une grande partie de la gestion du Cambodge pour assurer une transition vers la paix et la stabilité.

Beaucoup d’enfants à cette époque se sont retrouvés dans des orphelinats, souvent en raison des circonstances socio-économiques terribles que les familles rencontraient. La pauvreté, la désorganisation et les traumatismes de la guerre ont fait que de nombreux parents n’étaient tout simplement pas capables de subvenir aux besoins de leurs enfants. Les orphelinats de Phnom Penh ont accueilli des enfants venant de tout le pays, souvent dans des conditions très précaires, en raison de la situation humanitaire difficile.

Avant 1991

Je suis née pendant une période de transition mais aussi à la suite de plusieurs années de guerre et d’instabilité.

Jusqu’en 1979, le Cambodge a été sous le contrôle du régime brutal des Khmers rouges, dirigé par Pol Pot. Ce régime a causé la mort d’environ deux millions de personnes à cause des exécutions, de la famine et des travaux forcés. En 1979, les forces vietnamiennes ont envahi le Cambodge, renversant les Khmers rouges. Cependant, la guerre ne s’est pas arrêtée là.

Entre 1979 et le début des années quatre-vingt-dix, il y a eu des affrontements constants entre le gouvernement soutenu par le Vietnam et les Khmers rouges qui se sont repliés dans les montagnes et les zones frontalières. Même si l’occupation vietnamienne s’est officiellement terminée en 1989, les Khmers rouges, ainsi que d’autres factions rebelles, ont continué à mener une guerre civile contre le gouvernement cambodgien jusqu’aux accords de paix de 1991.

Donc, en 1991, bien que la paix officielle ait été signée, le Cambodge sortait tout juste de cette guerre civile. Il y avait encore beaucoup de tensions, de mines terrestres dans le pays, des poches de violence et des traces profondes des traumatismes des décennies de guerre. Cela fait de moi, en un sens, une “enfant de la guerre”, car ma naissance et mon abandon se sont produits dans le contexte d’un Cambodge en reconstruction après des années de conflit.

Avant 1979

Le protectorat français au Cambodge, établi en 1863, a profondément marqué le pays, tant sur le plan politique que culturel. Voici quelques-unes des principales conséquences de la période coloniale :

1. Centralisation du pouvoir : Sous les Khmers, le pouvoir était souvent décentralisé, avec des chefs locaux ayant une grande autonomie. Les Français ont instauré une administration plus centralisée, renforçant le rôle du roi tout en maintenant un contrôle sur lui. Cela a transformé la gouvernance cambodgienne, créant un modèle plus vertical et bureaucratique.

2. Modernisation des infrastructures : La France a introduit des infrastructures modernes, comme les routes, les chemins de fer et les bâtiments administratifs. Phnom Penh, la capitale, a été largement modernisée durant cette période. Cependant, ces infrastructures étaient souvent construites pour servir les intérêts économiques français, comme l’exploitation du riz et du caoutchouc.

3. Éducation et langue : Les Français ont introduit leur système éducatif, qui favorisait l’apprentissage de la langue et de la culture française, souvent au détriment des savoirs traditionnels khmers. Cela a créé une élite cambodgienne francophone, formée dans des écoles françaises, mais a aussi contribué à un clivage entre ceux qui accédaient à cette éducation et le reste de la population.

4. Influence culturelle : La France a influencé la culture cambodgienne, notamment dans l’architecture, l’art, et les modes de vie urbains. Cependant, cette influence était limitée à certains segments de la société, notamment l’élite urbaine.

Après l’indépendance du Cambodge en 1953, les traces de la colonisation ont continué de se faire sentir. Dans les années 1980 et 1990, après les Khmers rouges et l’occupation vietnamienne, la présence d’organisations humanitaires et de l’ONU a été significative.

1. Rôle de la France via l’ONU et les ONG : Pendant les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix, la France a joué un rôle important au sein de la communauté internationale pour aider le Cambodge à se reconstruire. À travers l’ONU, notamment lors de l’administration transitoire de l’UNTAC (1992-1993), la France a contribué à des initiatives de pacification et de reconstruction du pays. Médecins Sans Frontières (fondée en France), ainsi que d’autres ONG françaises, ont joué un rôle crucial en fournissant des soins médicaux dans un contexte de grande urgence humanitaire, particulièrement pour les victimes des mines terrestres et de la malnutrition.

2. Colonialité et dépendance : Bien que la colonisation formelle ait pris fin, la colonialité, c’est-à-dire les traces durables des structures coloniales, se manifestait encore dans la manière dont le Cambodge dépendait des aides étrangères, en particulier françaises, pour sa reconstruction. Certaines critiques suggèrent que cette dépendance perpétue un rapport de force hérité de la colonisation, où le Cambodge reste en partie tributaire des anciennes puissances coloniales pour son développement et sa stabilité.

Ces différents aspects montrent à quel point la période coloniale et l’aide post-conflit ont laissé des traces profondes, que ce soit à travers la langue, la politique ou la dépendance aux interventions internationales.

Colonialité

Il est certain que le colonialisme français, comme d’autres formes de colonialisme européen, s’est appuyé non seulement sur des intérêts économiques, mais aussi sur une idéologie de supériorité raciale. Les Français, comme d’autres puissances coloniales, ont souvent justifié leurs actions en invoquant ce qu’on appelait la “mission civilisatrice”. C’était l’idée selon laquelle les Européens avaient le devoir d’apporter la “civilisation” aux populations non-européennes, perçues comme inférieures sur le plan culturel et racial.

Le Cambodge, avec sa position géopolitique entre la Thaïlande et le Vietnam, avait une importance stratégique dans l’Empire français, en plus de l’exploitation des ressources naturelles comme le riz, le poivre et le caoutchouc. Même si le Cambodge n’était pas aussi économiquement vital que d’autres colonies comme l’Indochine (Vietnam), son inclusion dans l’Indochine française (aux côtés du Laos et du Vietnam) a renforcé le contrôle régional des Français sur une vaste zone de l’Asie du Sud-Est.

Concernant le racisme et les hiérarchies raciales, les archives montrent clairement que les colonisateurs français voyaient les populations locales comme inférieures. Cette hiérarchie raciale se manifestait dans les relations de pouvoir entre les colonisateurs et les colonisés, avec une ségrégation marquée dans les sphères de la vie quotidienne, comme l’éducation, l’accès à la santé et aux infrastructures modernes. Les Français occupaient les positions de pouvoir politique, administratif et économique, tandis que les Cambodgiens restaient largement marginalisés dans des rôles subalternes. Les élites locales qui étaient éduquées dans les écoles françaises devenaient une minorité privilégiée, mais toujours inférieure aux colons européens.

Les sources coloniales et les archives montrent aussi cette vision raciale à travers les descriptions des peuples cambodgiens, vietnamiens et lao dans des termes souvent dénigrants, où ils sont représentés comme “arriérés” ou “paresseux”, nécessitant l’intervention bienveillante des colonisateurs pour les “élever”. Ce discours raciste légitimait la domination coloniale et permettait aux Français de maintenir un contrôle social et politique sur leurs colonies.

Par ailleurs, cette hiérarchie ne se limitait pas aux relations entre Français et Cambodgiens. Il existait également une hiérarchie raciale entre les différents groupes ethniques au sein de l’Indochine. Par exemple, les Vietnamiens étaient souvent considérés comme plus “civilisés” que les Khmers ou les Lao, et jouaient parfois des rôles intermédiaires dans l’administration coloniale, exacerbant les tensions ethniques locales.

Donc, le racisme et la hiérarchie raciale faisaient partie intégrante du système colonial français, et ces structures ont laissé des traces durables dans les relations post-coloniales, même après l’indépendance. Ces dynamiques de pouvoir continuent parfois de se manifester sous forme de colonialité, c’est-à-dire la persistance de ces rapports inégalitaires et la perception de supériorité occidentale dans les relations entre les anciennes puissances coloniales et les pays anciennement colonisés.

Adoption

Le fait d’être adoptée par une famille blanche peut en effet être analysé sous le prisme de la colonialité et du néocolonialisme. Le concept de white saviorism ou “sauveur blanc” s’inscrit dans une logique où les Occidentaux, souvent issus des anciennes puissances coloniales, se positionnent comme des bienfaiteurs ou des sauveurs des populations des pays du Sud. Ce phénomène s’observe dans les actions humanitaires, l’adoption internationale et d’autres formes d’intervention où des individus, souvent blancs, prennent la responsabilité de “sauver” ou “élever” des personnes issues de pays en développement, sans prendre en compte les dynamiques de pouvoir et les héritages coloniaux sous-jacents.

Dans notre cas, l’adoption internationale depuis le Cambodge, dans un contexte post-guerre et post-génocide, peut être vue comme une extension de ce phénomène. Bien que les motivations des familles adoptives soient généralement bienveillantes, cette dynamique s’inscrit dans un schéma plus large où les pays occidentaux exercent encore une forme de domination sur les anciennes colonies, sous couvert de secours ou d’assistance. Les enfants des pays en développement, notamment ceux issus de pays ayant traversé des crises humanitaires, sont souvent perçus comme des victimes à “sauver”, ce qui renforce une vision paternaliste et parfois condescendante envers ces pays.

L’adoption internationale, notamment dans les années quatre-vingts et quatre-vingt-dix, s’est souvent produite dans des conditions où les infrastructures locales étaient très affaiblies par la guerre, et où les gouvernements des pays d’origine des enfants manquaient de ressources pour gérer ces questions de manière autonome. Cela a créé une situation où les pays occidentaux, en particulier la France dans le cas du Cambodge, ont pris en charge des enfants, souvent sans que les contextes ou les racines culturelles des enfants soient pleinement reconnus ou respectés.

Sur le plan sociologique, cette forme de néocolonialisme se manifeste dans la manière dont l’Occident continue de définir ce qui est “meilleur” ou “nécessaire” pour les populations des pays du Sud, qu’il s’agisse d’éducation, de bien-être ou de politique familiale. Dans mon cas, la question de l’identité et de l’appartenance culturelle peut être influencée par ce contexte, où j’ai grandi dans un milieu occidental qui peut avoir ses propres perceptions du Cambodge, souvent façonnées par ces héritages coloniaux et néocoloniaux.Et où les mêmes noms ressurgissent dans l’esprit des adultes (Pol Pot, Angkor…).

Quelques artistes

1. Art et artistes contemporains cambodgiens :

Vann Nath est un peintre et survivant du régime des Khmers rouges. Ses œuvres poignantes, qui témoignent des atrocités commises, sont une manière très personnelle et historique d’explorer l’histoire récente du Cambodge.

Leang Seckon est l’un des artistes cambodgiens contemporains les plus influents. Son travail mêle l’histoire, la mythologie cambodgienne, et des réflexions sur l’identité et le traumatisme national.

Sopheap Pich, un sculpteur reconnu, travaille avec des matériaux naturels cambodgiens comme le bambou et le rotin, et ses œuvres sont souvent symboliques des cycles de vie et de la mémoire.

2. Cinéma cambodgien :

Rithy Panh est l’un des réalisateurs cambodgiens les plus connus, notamment pour ses documentaires sur le génocide des Khmers rouges, comme L’image manquante (2013), qui mêle images d’archives et figurines d’argile pour évoquer ce qui a été perdu.

Davy Chou est un réalisateur cambodgien-français qui explore la mémoire et l’identité cambodgienne dans des films comme Le Sommeil d’or (2011), qui raconte l’âge d’or du cinéma cambodgien avant les Khmers rouges.

3. Littérature cambodgienne :

Loung Ung est une auteure et survivante des Khmers rouges, connue pour son récit autobiographique First They Killed My Father, qui a également été adapté en film. Son travail peut te permettre d’explorer l’histoire récente à travers un prisme personnel.

• Les travaux d’écrivains contemporains comme Sokunthary Svay, qui est une poétesse cambodgienne-américaine, abordent des thèmes liés à l’exil, la diaspora et l’identité.

4. Histoire et archives :

• Le Centre de Documentation du Cambodge (DC-Cam) est une importante ressource historique qui collecte des archives sur le régime des Khmers rouges et propose de nombreuses publications. Cela pourrait être un point de départ pour une exploration historique.

• les archives artistiques ou culturelles, l’École française d’Extrême-Orient (EFEO) a travaillé pendant des décennies sur la culture khmère, notamment à travers des fouilles archéologiques et des recherches historiques sur Angkor.

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